La définition du CARE est assez complexe et on parle, aujourd’hui, pour franciser les choses d’« éthique de la sollicitude ». C’est très joli, mais ce n’est pas nécessairement compréhensible par tout le monde.
Dans le temps, j’avais écrit un bouquin qui s’intitulait « De l’état providence à l’état accompagnant » Je pense, plus que jamais, que cette notion d’accompagnement est extrêmement importante parce que, quand j’accompagne l’autre, je ne suis pas en surplomb, je ne t’aide pas, je ne t’explique pas, je ne te fais pas la morale. Je t’accompagne et nous réfléchissons ensemble. D’ailleurs, généralement, si l’accompagnement est riche, les deux parties évoluent, pas seulement celui qui est accompagné. Et, à terme, celui qui est accompagné peut aussi accompagner l’autre… Il y a donc quelque chose, pourrait-on dire, d’une morale de la réciprocité.
Premier élément. Le CARE, dans cette acception-là, c’est cette morale de la réciprocité, cette solidarité interconnectée qui fait que je comprends que, finalement, j’y ai autant intérêt que tu y as intérêt. Il y a quelque chose derrière qui est de mon intérêt, de ton intérêt et d’un intérêt collectif.
Aujourd’hui, le CARE reste quelque chose qui relève du « petit supplément de conversation », une idée en réalité assez peu présente… Mais, en réalité, le CARE c’est aussi la question de la planète, la question de la protection de l’environnement, la question du vivant dans son ensemble. Il ne s’agit pas d’ajouter des interdictions surmultipliées mais de prendre conscience ensemble du fait que nous avons un destin commun. Or, ce pays France, s’il y a quelque chose dont il souffre, dont nous souffrons tous – et c’est plus qu’un sentiment -, c’est que, pour une grande partie de la population, il n’y a plus de destin commun. Chacun est dans son coin !
Le CARE, c’est l’anti-communautarisme. Or, aujourd’hui, cette tentation est extrêmement puissante, entretenue par des gens extrêmement différents qui, chacun, sont absolument convaincus qu’ils détiennent la vérité, et que donc les autres sont dans l’erreur. Alors, parfois il faut juste les convaincre. Parfois, il faut même s’en débarrasser, si on va très loin. C’est Camus qui, à un moment donné, disait « J’aurais aimé qu’il y ait un parti du doute, et j’aurais adhéré ». Et je trouve cela assez joli. S’il y a quelqu’un, d’ailleurs, qui est dans le CARE, c’est bien Camus. D’ailleurs, à un moment donné, il parle du « Nous sommes », c’est-à-dire « nous sommes conscients que nous sommes ensemble et que nous avons partie liée ». C’est dans « L’homme révolté » et ce « Nous sommes » est une déclaration extrêmement puissante.
L’anarchiste démocrate – on va dire comme ça – Kropotkine, dans un bouquin, parlait de l’entraide. C’est cela aussi le CARE. Les gens les plus riches, les gens les plus puissants, les gens les plus méchants, ceux qui ont une kalachnikov à la main n’ont pas besoin d’entraide. Mais, tous les autres, pour s’en sortir, même s’ils sont dans des logiques extrêmement libérales, de concurrence et ne le ressentent que lorsqu’ils sont face à un problème de taille, ils ont besoin d’entraide, ils ont besoin des autres. Encore une fois, c’est le « Nous sommes » de Camus. Je parle d’interdépendance. Nous sommes tous interdépendants les uns des autres. Je suis interdépendant de mon logement et aussi de la manière dont il a été construit. Je suis interdépendant des gens qui l’ont construit. Je suis aussi interdépendant des équipements en santé qu’il peut y avoir à proximité de chez moi. Je suis interdépendant de la question de savoir s’il y a du personnel de soin. Tout cela joue simultanément et, là encore, nous voyons qu’il y a une interdépendance entre cette notion d’habitat, de logement, et cette notion de protection sociale, de mutuelle.